Précis de grammaire kabiyè
Les verbes : l’accompli et le factitif
Par Atinèdi GNASSE
Les éléments auxquels l’écriture du kabiyè doit penser avant même le problème des tons sont inévitablement les verbes à l’accompli, es pronoms relatifs, démonstratifs et interrogatifs, les ponctuations, les particules d’appui et les pré et postpositions.
3-1Les verbes factitifs
Le verbe factitif indique que le sujet fait faire ou cause l'action, mais ne la fait pas lui-même. Le factitif est une forme de l'aspect du verbe; l'action exprimée par le verbe est le résultat d'une autre action accomplie par le sujet ou par d'autres que le sujet. En français, le factitif s'exprime le plus souvent par l'auxiliaire « faire » : « faire faire une robe ». Se dit du sujet d’un verbe qui fait faire l’action. A la structure de base intransitive (monovalente) correspond un prédicat transitif (bivalent) :
En kabɩyɛ, le factitif s’exprime par la terminaisaon en su, suu, sʋ, sʋʋ, zu, zuu, zʋ, zʋʋ, naʋ
Verbe simple |
Sens |
Verbe factitif |
Sens |
Lɩʋ |
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lɩzʋʋ |
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Kpaʋ |
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Kpazʋʋ |
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Ɖɩkʋʋ/ɖŋgɩʋʋ |
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Ɖɩsʋʋ/ɖɩzʋʋ |
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Sʋʋ |
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Sʋzʋʋ |
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Tibu |
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Tisuu |
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Caɣaɣʋ |
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Caɣaɣzʋʋ |
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Kʋyʋʋ |
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Kʋsʋʋ |
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Hɩnʋʋ |
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Hɩzʋʋ |
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Tɔlʋʋ |
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Tɔlɔsʋʋ |
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Tɔɔʋ |
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Tɔɔzʋʋ |
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Pilimuu |
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Pilisuu |
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Cɔʋ |
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Cɔzʋʋ |
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Saʋ |
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Sazʋʋ (inciter) |
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Ñɔʋ |
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Ñɔzʋʋ |
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Ɖeu (être beau) |
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Ɖezuu (rendre beau) |
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Ɖeu |
(ɛ-tɔm ɖewa : il a raison) |
Ɖezuu |
(donner raison) |
Ɖɩm (s’éteindre) |
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Ɖɩzʋʋ (éteindre) |
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Hɛʋ (être apaisé,) |
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Hɛzʋʋ (apaiser) |
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Kpɛʋ |
(sortir de, se retirer) |
Kpɛ̀zʋʋ |
(enlever de, retirer) |
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Kpɛ́zʋʋ (mɛnkpɛza-ɩ mentehiɣ-i) |
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Kpem |
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Kpenaʋ |
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Kɔm |
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Kɔnaʋ |
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Wobu |
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Wonaʋ |
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3-2 Le verbe à l’accompli et le ton haut
Le verbe à l’accompli est l’un des obstacles principaux de la lecture du Kabiyè. Sans complément, le verbe à l’accompli se termine par un « a ». Avec un complément, il se termine par « i » ou « ɩ ». Et là commencent les difficultés de la lecture.
Exemples
« Meyebi-i sɩnaʋ». Vue ainsi sur un support, cette proposition peut être indépendante ou principale, c’est-à-dire être suivie d’une autre proposition (secondaire). Ainsi, nous avons trois sens à cette proposition.
1- Meyebi-i sɩnaʋ : j’ai arrêté de l’aider
2- Meyebi-i sɩnaʋ : j’arretai de l’aider
3- Yee meyebi-i sɩnaʋ : si j’arrêtais de l’aider
C’est en cela que avec un « a » à la fin du verbe à l’accompli même avec des compléments, l’écriture résout un problème et la proposition fait face à seulement deux sens. On a ainsi
1- Meyebi-i sɩnaʋ : j’ai arreté de l’aider
2- Meyebi-i sɩnaʋ : j’arretai de l’aider
3- Meyebi-i sɩnaʋ : si j’arretais de l’aider
4- Meyebi-i sɩnaʋ (na) ? Que j’arrete de l’aider ?
La solution à la phrase N° 3 permet de décanter la situation. Car en réalité le parler a abandonné le mot de condition, puisque c’est une phrase conditionnelle, et il suffit de le ramener et elle ne sera plus confondue avec la phrase N° 2. L’usage correct de tous les éléments de la langue permet donc de résoudre un problème de lecture. L’application de l’accent haut, la restitution du mot de condition « yee », la terminaison des verbes conjugués avec le « a » à l’accompli permettent ensemble de ne pas trébucher sur les mots pendant la lecture. Le sens de ces quatre phrases se détachent et chacune a son sens et aucune ne se confond à l’autre.
1- Meyeba[1]-ɩ sɩnaʋ : j’ai cessé de l’aider
2- Méyébi-i sɩnaʋ : je cessai de l’aider
3- Yee méyeba-ɩ sɩnaʋ : si je cesse de l’aider
4- Méyèbi-i sɩnaʋ na : Que je cesse de l’aider
L’on peut aussi utiliser l’ellipse de la voyelle qui va être remplacée par l’apostrophe.
Exemple :
Ɛsɛta pilinzi
Ɛsɛt’ pilinzi
Ɛ́sɛ́tɩ pilinzi Il coupa les branches
Yee ɛsɛt’ pilinzi. S’il coupait les branches
A la question :
Mɛhɛzaa wɛ le ? deux réponses ont été données par deux domestiques simultanément:
1- Petiyi-i
2- Petiya-ɩ
Dans la forme parlée, j’ai compris les deux sans problème : On l’a envoyée. Mais si les deux formes de réponse sont écrites, l’une comporte des ambiguïtés dans la lecture et l’autre est sans difficulté de lecture :
1- Petiyi-i = on l’a envoyé ou on l’envoya.
2- Petiya-ɩ = on l’a envoyé et il n’y a pas autre forme de procès
Dans la conjugaison des verbes le « a » de terminaison à l’accompli ne se confond avec aucune autre forme de conjugaison sauf dans le cas de condition. Mais ici, l’écrit restaure tous les éléments de la condition, notamment le si de la condition « yee ».
Petiya-ɩ : on l’a envoyé
Yee petiya-ɩ… : Si on l’envoyait…
Petiyi-i = on l’envoya peut prendre plusieurs autres sens que l’usage des accents peut permettre de régler :
1- Pétíyi-i = on l’envoya
2- Pétiyi-i = qu’on l’envoie
Dans l’orthographe il ressort ce qui suit dans le tableau suivant et à la lumière de ce que l’Académie a adopté en …. ɛtasa-m (il m’a ajouté) :
N° |
Phrase en kabiyè |
Sens en français |
1 |
Petiya-ɩ |
On l’a envoyé |
2 |
Yee petiya-ɩ… |
Si on l’envoyait… |
3 |
Pétíyi-i |
On l’envoya |
4 |
Pétiyi-i |
Qu’on l’envoie |
3-3 Le négatif des verbes –ta-
Le verbe à la forme négative est exprimé par la marque de négation « ta » parfois –tɩ-. Les deux marques se valent. Mais dans le souci de lever des confusions, le –ta- permet d’éviter les ressemblances dans l’orthographe avec d’autres formes de conjugaison.
Ɛtacalɩ-m mabʋ (il/elle ne m’a pas frapé le premier
Ɛtɩcalɩ-m mabʋ (il/elle ne m’a pas frapé la première. Il/elle me frapa le premier). Cela permet par l’orthographe (les lettres de l’alphabet) de lever une difficulté en évitant la marque de ton haut)
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David Roberts, SIL et LLACAN, le mardi 15 mai 2007
Je ne suis pas le premier à remarquer dans les colonnes de cette revue qu'une orthographe qui ne prend pas en considération les tons risque de déstabiliser l'apprenti lecteur et de l'empêcher d'arriver à son but qui est la compréhension. C'est un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d'encre dans ces annales car c'est le cas de l'orthographe standard du kabiyè.
Or, le principe adopté dans bien des langues africaines est qu'un ton dans la gorge égale un accent sur papier. D'autres, non sans raison, redoutent la surcharge et la superfluité graphique. Entre ces deux positions tranchées, ne pourrait-on pas tracer une nouvelle piste, une « troisième voie » ? Si, par exemple, au lieu de faire ressortir les tons eux-mêmes dans l'orthographe, on mettait en premier plan la grammaire… ? A l'aide de certains indices grammaticaux bien placés, le lecteur saurait – grâce à sa sensibilité de locuteur natif – avec quelle mélodie il faudrait prononcer le mot sans que les tons soient explicités. Dans cet article je prends un cas de figure, à savoir l'ambiguïté qui existe dans l'orthographe standard entre l'immédiatif et le négatif.
En kabiyè, on exprime la notion de l'immédiat (aussitôt, toute de suite) à l'aide du préfixe tɩ ~ ti :
1. |
Mantɩcɩyɩ pɩsaʋ |
J’ai aussitôt déchiré le pagne |
2. |
Pɩɣa tɩtʋlɩ wondu |
L’enfant a aussitôt fais sortir le bétail |
3. |
Ɛtɩha-m liidiye |
Il m’a aussitôt donné d’argent |
4. |
Patihili ɖozi |
On a aussitôt préparé la sauce |
5. |
Mɩlʋ titulɩ kpelasi |
Le voleur a aussitôt ramassé les chaises |
Mais le négatif (ne … pas) s'exprime lui aussi par un préfixe semblable dans la même position. Il comporte six formes graphiques, selon les règles de l’harmonie vocalique :
Préfixe de négation |
voyelle du radical verbal |
ti |
i, u |
te |
e |
to |
o |
tɩ |
ɩ, ʋ, a |
tɛ |
ɛ |
tɔ |
ɔ |
Il y a donc un risque de confusion entre l’immédiatif et le négatif, lorsqu'il s’agit d’un radical verbal dont la voyelle est de la série ɩ, ʋ, a, i, u :
6. |
Mantɩcɩyɩ pɩsaʋ |
Je n'ai pas déchiré le pagne |
7. |
Pɩɣa tɩtʋlɩ wondu |
L’enfant n'a pas fais sortir le bétail |
8. |
Ɛtɩha-m liidiye |
Il ne m'a pas donné d’argent |
9. |
Patɩhili ɖozi |
On n'a pas préparé la sauce |
10. |
Mɩlʋ tɩtulɩ kpelasi |
Le voleur n'a pas ramassé les chaises |
Je tiens à préciser que ces phrases ne sont pas du tout ambiguës dans le parler, car elles se prononcent soit avec la mélodie de l'immédiatif, soit avec la mélodie du négatif. Mais à l'écrit, rien ne les distingue. Le pauvre lecteur ne peut que deviner l'intention de l'écrivain, et il lui faut peut-être plusieurs essais avant d'arriver à la bonne prononciation et (ce qui est encore plus important) à la compréhension.
Quelle solution envisager face à cet échec ? Il me semble tout à fait logique de réserver l'orthographe existante tɩ ~ ti uniquement pour signaler l’immédiatif, car il ne varie pas. C'est plutôt l'orthographe du négatif qu'il faut rectifier, car il connaît déjà une surcharge de formes graphiques. Je propose donc que le préfixe du négatif s'écrive ta devant un radical contenant les voyelles de la série ɩ, ʋ, a, i, u, orthographe qui s'aligne avec la prononciation de certains variantes dialectales :
11. |
Mantacɩyɩ pɩsaʋ |
Je n’ai pas déchiré le pagne |
12. |
Mantɩcɩyɩ pɩsaʋ |
J’ai aussitôt déchiré le pagne |
|
|
|
13. |
Pɩɣa tatʋlɩ wondu |
L’enfant n’a pas fait sortir le bétail |
14. |
Pɩɣa tɩtʋlɩ wondu |
L’enfant a aussitôt fais sortir le bétail |
|
|
|
15. |
Ɛtaha-m liidiye |
Il ne m’a pas donné de l’argent |
16. |
Ɛtɩha-m liidiye |
Il m’a aussitôt donné d’argent |
|
|
|
17. |
Patahili ɖozi |
On n’a pas préparé la sauce |
18. |
Patɩhili ɖozi |
On a aussitôt préparé la sauce |
|
|
|
19. |
Mɩlʋ tatulɩ kpelasi |
Le voleur n’a pas ramassé les chaises |
20. |
Mɩlʋ tɩtulɩ kpelasi |
Le voleur a aussitôt ramassé les chaises |
Cette rectification ne s'appliquerait pas si le radical contient les lettres de la série ɛ, ɔ, i, e, o, u, car on ne cherche pas à réparer ce qui n'est pas cassé. L'orthographe standard resterait telle qu'elle :
21. |
ɛtɛcɛlɩ |
Il n'a pas rendu |
22. |
ɛtɔsɔɔ |
Il n'a pas oublié |
23. |
etehili |
Il n'a pas préparé |
24. |
etewelesi |
Il n'a pas écouté |
25. |
etowolo |
il n'est pas allé |
26. |
etotuli |
il n'a pas ramassé |
C'est une rectification qui serait facilement apprise et appliquée, car il s'agit de remplacer une seule voyelle par une autre. Mais au même temps, c'est une rectification de grande rentabilité, car le négatif est une des conjugaisons les plus courantes dans les textes. Ainsi on arrive à désambiguïser deux séries de conjugaisons verbales qui ne diffèrent que par leurs tons, mais sans asperger des accents sur le papier comme du sel et du poivre. C'est la grammaire qui est mise en relief et non les tons.